Contributions

Confiance, Science-conscience

par Sandrine Parrico

La confiance est généralement perçue comme un aspect subtil dans les relations humaines. Sa nature abstraite lui confère des questionnements quant à sa réelle définition. Lorsqu’on analyse l’étymologie du mot, on retrouve dans le latin confidere le préfixe con- signifiant « ensemble », et fidere signifiant « se fier, croire ». Ainsi, la confiance dérive d’une croyance envers la capacité d’autrui à tenir parole, à ne pas nous décevoir. Bien que fondamentale dans toute interaction sociale, elle s’étend au-delà du rapport élémentaire d’homme à homme. On reconnaît également la confiance en soi, composante primordiale de l’estime de soi, et la confiance en quelque chose de plus vaste et ambigu tels que le gouvernement, les institutions ou encore Dieu.

La confiance est avant tout un comportement. Ce n’est pas le simple fait de croire, comme l’indique son étymologie, mais le fait d’agir. Nous pouvons croire en quelqu’un mais ne pas placer notre confiance en cette personne par les actes. Accorder sa confiance c’est surtout prendre le risque de se montrer vulnérable aux autres, puisque l’on permet à une personne extérieure d’altérer un aspect de notre vie. La capacité de faire confiance dépend d’un individu à l’autre, de sa fierté propre mais également de la personne qui se trouve en face.

Ayant attiré l’attention des chercheurs, de nombreuses études sur le sujet ont été mises en place, mais c’est en 1995 que Berg, Dickhaut et McCabe ont crée le « trust game »(1). Ce jeu avait pour but de mesurer le risque de faire confiance à travers une tâche simple impliquant une collaboration entre confiance et réciprocité. Deux participants se trouvent dans des salles séparées. Le premier participant possède la somme de 10$ et doit décider quel montant il veut envoyer au deuxième participant, en sachant que la somme est triplée dès son arrivée dans les mains du second. Une fois l’argent réceptionné, celui-ci choisit un montant à renvoyer au premier participant, montant qui n’ai pas triplé. 32 paires de participants ont pris part à cette expérience. La somme envoyée au départ a varié, allant de 2 participants ayant envoyé 0$ à 5 participants ayant envoyé la totalité de leur possession, c’est-à-dire 10$. En moyenne, les premiers participants ont envoyé 5.16$ et n’ont reçu en retour que 4.66$. Seulement 11 des participants de la deuxième étape ont renvoyé une somme supérieure à celle reçue. Ces résultats témoignent d’une réciprocité négative car les seconds participants n’ont pas su interpréter la confiance placée par les premiers.

La confiance ne se résume pas uniquement à l’investissement et à la réciprocité. En effet, elle peut être influencée par divers facteurs, notamment les normes sociales, les expériences passées ou encore la personnalité propre. Lorsqu’une personne se fait trahir, elle aura tendance à ne plus faire confiance à la personne qui l’a déçue ou à moins faire confiance en général. Elle peut se perdre comme elle peut se gagner. La confiance n’est donc pas statique et fluctue selon les évènements qui peuvent l’ébranler. Pour illustrer ça, les chercheurs ont inséré une variable à l’étude précédente, étant dorénavant la condition « sans historique ». La condition « avec historique » a été réalisée quelques jours après. Dans celle-ci, tous les participants reçoivent, au préalable, un descriptif des résultats obtenus suite à l’étude « sans historique ». Les résultats de cette nouvelle expérience ont considérablement changé. Cette fois, sur les 24 participants, 13 ont renvoyé une somme supérieure à celle reçue, résultant en une augmentation de 1.80$ dans la moyenne, contre 0.20$ pour la moyenne de la somme envoyée. Contre toute attente des chercheurs, plus le montant envoyé était élevé, plus le remboursement l’était également. La deuxième partie de l’expérience démontre ainsi l’impact de l’historique social dans la confiance entre sujets.

La confiance est donc avant tout sociale et interpersonnelle, mais n’a-t-elle pas une origine individuelle ? Serait-il possible de trouver des composantes biologiques à nos comportements de confiance ? Au début de notre siècle, des études se sont intéressées au rôle de l’ocytocine dans les relations d’attachement et la monogamie. Ce neuropeptide se retrouve plus spécifiquement chez la femme, notamment lors de l’accouchement ainsi que post-partum. Kosfeld et ses collègues ont recrée une version du trust game impliquant l’ocytocine(2). Dans celle-ci, tous les participants ont reçu un spray nasal contenant soit le neuropeptide ocytocine, soit un placebo. L’analyse des résultats a démontré un investissement nettement supérieur dans le groupe avec ocytocine que dans le groupe contrôle. Plus tard, des chercheurs ont trouvé des résultats allant dans le sens d’une influence génétique voir héréditaire. Toutefois, plus d’études sont nécessaires afin de confirmer ces postulats. Les fondements de la confiance étant largement étudiés par les chercheurs économistes(3), on peut se demander jusqu’où de telles découvertes peuvent nuire à l’être humain. Il est facile de s’imaginer une utilisation inappropriée de l’ocytocine dans le but de faire du profit.

Imaginez un diffuseur dans les magasins ou dans des bureaux de négociation. Sans compter qu’elle peut mener à des comportements violents et peut encourager l’ethnocentrisme qui découle d’un sentiment de supériorité et de xénophobie(4). Néanmoins, l’ocytocine, communément connue comme « l’hormone du plaisir », est réellement nécessaire dans tous types de situations positives. Elle permet la survie des nouveau-nés et accroît même la générosité(5). Plus de générosité, plus d’empathie, de partage, n’est-ce pas ce dont nous aurions besoin actuellement ? L’habilité d’accorder sa confiance n’est rien sans se faire confiance en soi-même de prime abord. Sans cela, je ne pourrais pas faire confiance en ce projet ambitieux qui est « l’Etat des choses ». Et vous, faites-nous assez confiance pour nous apporter votre soutien ?

(1) Berg, J., Dickhaut, J., & McCabe, K. (1995). Trust, Reciprocity, and Social- History. Games and Economic Behavior, 10, 122-142. https://doi.org/10.1006/game.1995.1027
(2) Kosfeld, M., Heinrichs, M., Zak, P. J., Fischbacher, U., & Fehr, E. (2005). Oxytocin increases trust in humans. Nature, 435(7042), 673‐676. https://doi.org/10.1038/nature03701
(3) Fehr, E. (2009). On The Economics and Biology of Trust. Journal of the European Economic Association, 7(2‐3), 235‐266. https://doi.org/10.1162/JEEA.2009.7.2-3.235
(4) De Dreu, C. K. W., Greer, L. L., Van Kleef, G. A., Shalvi, S., & Handgraaf, M. J. J. (2011). Oxytocin promotes human ethnocentrism. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(4), 1262‐1266. https://doi.org/10.1073/pnas.1015316108
(5) Zak, P. J., Stanton, A. A., & Ahmadi, S. (2007). Oxytocin Increases Generosity in Humans. PLoS ONE, 2(11), e1128. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0001128